Le défi urbain, vu par le PDG de Saint-Gobain

La deuxième conférence organisée dans le cadre de l’initiative « Conversations citoyennes d’Issy » a eu lieu le 20 octobre 2021, sur le thème du « Défi urbain ». Pierre-André de Chalendar, ancien inspecteur des finances, PDG de Saint-Gobain entre 2010 et 2021 et désormais président non-exécutif du groupe, était l’invité de la Ville pour l’occasion.

M. Santini, flanqué de ses fidèles adjoints MM. Khandjian et Knusmann, a ouvert la session en se livrant à son satisfecit habituel : 20% des foyers ont répondu à l’enquête Conversations Citoyennes, qui constitue « une démarche originale de démocratie participative », donnant ainsi une « vision claire sur la ville de demain ». On laissera les isséen·nes juger de cette initiative.

M. de Chalendar, contrairement à l’intervenant précédent M. Moreno, a d’abord fait preuve d’une certaine humilité, fait rare pour un PDG du CAC 40. En effet, l’orateur a rappelé sa position d’industriel spécialiste des matériaux, et précisé clairement qu’il n’était ni urbaniste, architecte ou élu.  Le « Défi urbain » décrit dans le livre homonyme de M. de Chalendar correspond à une synthèse entre la vision stratégique de Saint-Gobain et les réflexions personnelles de l’auteur, mûries lors du premier confinement. La pandémie de Covid-19 aura eu le mérite de susciter une prise de conscience sociale du PDG, qui a réalisé à quel point les inégalités en milieu urbain ont été exacerbées par les confinements successifs.  

Le chef d’entreprise a ensuite réfuté l’idée d’un « exode rural à rebours » et a souligné l’omniprésence de la ville dans le monde de demain, qui comptera 6,5 milliards de citadins en 2050. Après un rappel sur le très fort enjeu de réduction des émissions de gaz à effet de serre en ville, M. de Chalendar a exprimé sa fierté d’avoir participé à la préparation de la COP 21. Les Villes et entreprises sont les acteurs principaux dans la lutte contre le dérèglement climatique. La bonne nouvelle pour le climat est que du point de vue du bâtiment, les solutions techniques sont accessibles et disponibles depuis un certain temps, à commencer par les bâtiments « passifs » (bâtiment autosuffisant d’un point de vue thermique). Il s’agit finalement d’un « problème d’exécution ».

M. de Chalendar a poursuivi son intervention par une liste de cinq axes pour « réparer la ville dense » et « retrouver le désir de vivre en ville », avec une tonalité de programme électoral :

1.       La construction durable : utiliser des matériaux à faible empreinte carbone, augmenter le recyclage, favoriser l’économie circulaire. 50% des ressources naturelles sont consacrées au bâtiment, qui émet 40% de la masse totale des déchets. Par exemple, le verre et la plaque de plâtre sont recyclables à l’infini. La laine de verre de Saint-Gobain est aujourd’hui recyclée à 50%. La problématique majeure est la collecte des déchets, aujourd’hui défaillante faute de boucles locales efficaces. M. de Chalendar émet l’idée de considérer les bâtiments anciens comme des « banques de matériaux » pour y puiser les ressources sans exporter de déchets. Certaines émissions ponctuelles de CO2 sont obligatoires (la fabrication de verre pour le double-vitrage nécessite un chauffage à 1200°C) et se justifient par une diminution des émissions sur le long terme grâce aux économies d’énergie réalisées (le double vitrage rentabilise en trois mois son coût initial en CO2).

2.       La ville confortable : la ville doit être confortable, d’un point de vue thermique mais également acoustique. La chasse aux « passoires énergétiques » est un axe d’action majeur. M. de Chalendar souhaite aussi « remettre plus de nature dans la ville ». En citant quelques exemples de certaines villes peu attractives (Brasilia, les villes nouvelles de De Gaulle et en Chine), l’intervenant a souligné la nécessité de partir de l’existant et de ne pas chercher à bâtir une ville ex nihilo.

3.       Recréer le désir de vivre ensemble : les habitants des villes sont plus solitaires que dans le monde rural, la crise sanitaire a été révélatrice. En sa qualité de PDG, l’orateur a vanté la fonction sociale de la nouvelle Tour Saint-Gobain à la Défense, sans bureaux individuels. En effet, « on vient au bureau pour voir les autres ». À ce stade, on est en droit de se demander si le PDG de Saint-Gobain, ayant choisi d’implanter son siège social à la Défense, est le mieux placé pour parler de « réparer la ville dense ». De fait, la congestion des transports et l’envolée des prix de l’immobilier autour de la Défense semblent autant de bonnes raisons de ne pas y implanter son entreprise …

4.       Repenser la mobilité : les transports souffrent d’un problème de structures juridiques, et « l’on raisonne trop à l’intérieur du périphérique ». Le PDG de Saint-Gobain croit en la technologie, au digital, en la « mobility as a service ». Cependant, et on est content de l’entendre dire, il n’existe « pas de solution uniquement technologique », en rappelant l’échec du projet décrié de  Google City à Toronto. M. de Chalendar nous renvoie à la « ville du quart d’heure » de M. Moreno, qu’il admire, pour s’attaquer aux problèmes de mobilité.

5.       Décider ensemble : il n’est pas facile de demander l’avis des habitants, notamment à cause de l’effet « not in my backyard » (opposition aux changements proches de chez soi). Il faut co-construire la ville (expression cocasse dans la bouche d’un PDG). Il faut refaire de la ville un lieu de désir, car le retour à la campagne est limité et la ville a bel et bien un avenir.

Des cinq axes, c’est résolument la construction durable sur laquelle M. de Chalendar a paru le plus inspiré et le plus légitime, somme toute peu surprenant pour un professionnel des matériaux de construction. Dans l’ensemble, les orientations proposées ressemblent à un programme électoral assez attractif à première vue, malgré quelques angles morts. Par exemple, nulle mention n’a été faite des problèmes majeurs d’accès au logement dans les métropoles, que ce soit le prix du foncier prohibitif ou les loyers pas suffisamment encadrés. En creux, la ville idéale dépeinte par M. de Chalendar est une ville avec des bâtiments de haute technologie, dans laquelle les entreprises exercent leur puissance et leur vision stratégie. Néanmoins, on peine à voir comment les plus précaires (agents d’entretien, livreurs …) y trouveront leur place s’ils sont contraints d’habiter à 1h30 de leur lieu de travail faute de pouvoir se payer un logement à un quart d’heure … En outre, les problèmes d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite n’ont pas été abordés, ce qui a été très justement souligné par une question en fin de conférence.  

Le PDG de Saint-Gobain n’a pas fait l’impasse sur l’écologie, en soulignant à plusieurs reprises la nécessité de réduire les émissions carbonées à court terme et mentionnant les rapports du GIEC. Sur ce point, on peut le féliciter d’avoir pris la peine de verdir son discours, un peu plus que M. Moreno, pour terminer la comparaison. Néanmoins, en bon patron, M. de Chalendar n’a pas pu s’empêcher d’envoyer un tacle à la Convention Citoyenne pour le Climat en ironisant sur la possibilité de demander en priorité l’avis des « gens dont c’est le métier », entrant de fait en contradiction avec son cinquième axe d’urbanisme visant à « décider ensemble » et à « co-construire ».  Si le discours va globalement dans le bon sens, il reste suffisamment vague pour que des élus tels que M. Santini conservent une grande liberté d’interprétation et ne se sentent pas contraints de repenser leur politique. En définitivie, la ville de demain du PDG de Saint-Gobain reste plutôt abstraite et difficile à transposer en mesures concrètes au niveau municipal, mise à part peut-être l’application du volet « construction durable » aux bâtiments publics.

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